Les nouveaux habits du tabou de la virginité féminine en Algérie : œuvres et témoignages d'écrivaines algériennes et franco-algériennes d'expression française - Université de Picardie Jules Verne Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Autrepart - Revue de sciences sociales au Sud Année : 2012

The new clothes of the taboo of female virginity in Algeria

Les nouveaux habits du tabou de la virginité féminine en Algérie : œuvres et témoignages d'écrivaines algériennes et franco-algériennes d'expression française

Résumé

The sacredness of female virginity, which crystallises complex sociological and anthropological issues linked to gender relations and the codification of social ages, is still very prevalent in Algeria, notwithstanding a context of slow socio-cultural transformations (urbanisation and the housing crisis, rural exodus, a relative increase in the level of women's education, a lowering of the average age of girls at marriage, and a timid increase in the number of single women). It continues to be one of the aspects of the socialisation of sexuality and, more specifically, of the religious and, above all, family/social control of female sexuality: still often confiscated from puberty onwards, this sexuality is considered illicit or transgressive when it is expressed outside the marital framework. Organising gender relations, respect for the taboo of virginity represents one of the fundamental elements of primary socialisation, and crystallises a number of collective fantasies. For several decades now, many Algerian and Franco-Algerian artists of French expression have been breaking the long imposed silence on this taboo which persists in traditional patriarchal society. By speaking out, they are sometimes accused in their country of origin (which, moreover, was confronted with islamist violence during the 1990s) of disseminating Western-centric stereotypes on the status - obviously not homogeneous - of women in Islamic cultures, and of activating islamophobia. Although film-makers have taken up this theme, it is mainly French-speaking women writers who, following the pioneering writings of the feminist activist Fadela M'Rabet in the mid-1960s, have taken it up. In the context of the emergence of women's literary creation that gave an important part to the (intrinsically subversive) expression of the body, authors such as Maïssa Bey, Hawa Djabali, Assia Djebar, Houria Kadra-Hadjadji, Leïla Marouane, Malika Mokeddem, Leïla Sebbar and Khalida Toumi-Messaoudi have notably contributed to highlighting the often violent forms, material or symbolic, of traditional gendered socialisation and the dominations that have weighed or still weigh on women's sexuality, especially the youngest, in an androcentric society. In their French-language stories, often self-fictional and mostly published in France, they address the issue of adolescent virginity - and its shifting boundaries -, the stereotypical representations of femininity and masculinity that surround it, and the issues and implications that underlie it. Recalling that the requirement of virginity weighs on each of the two sexes in an eminently differentiated manner, they show that the taboo is at the heart of the system of values of which the code of honour [horma] constitutes the nodal point, in particular during matrimonial transactions between clans. However, despite the age and permanence of socialisation to traditional values and practices, the sacredness of virginity seems to be increasingly felt by women not as a choice dictated by personal conviction, but as a social constraint, especially when they are qualified, active and urban. A (still timid) demand for empowerment for young women is therefore emerging. Resistance to and circumvention of the dominant sexual norms are taking place, as evidenced by the women writers, who report on the clandestine (and illegal) development of premarital female sexuality, although not without risk, since in addition to the practice of repudiation, a tradition of 'honour killings' persists in Algeria. Hence the increasingly common recourse of some young Algerian women to a deeply ambivalent operation: hymenoplasty. While women writers do not hide these painful realities in their fictional or autobiographical works, they also clearly seek to distance themselves from miserabilistic stereotypes by promoting heroines who radically rebel - with varying degrees of success - against the patriarchal order. While it is by no means a question of universalising the experiences put into narrative by a few culturally endowed women, often of a higher social level, it is heuristic to consider these literary "traces" as material - one of the only ones available on this theme - to be sociologically objectified. It is both these (ambivalent) attempts at subversion and transgression of traditional gendered assignments and their reflexive narratives that we propose to shed light on here. This paper is based essentially on the analysis of the literary works of the Algerian and Franco-Algerian women writers mentioned above, as well as on the unpublished sociological interviews (sometimes anonymous at their request) that some of them have granted me. These materials are put into perspective with anthropological works and the few rare statistical data available to researchers that allow us to shed light on the issues at stake.
Cristallisant des enjeux sociologiques et anthropologiques complexes liés aux rapports sociaux de sexes et à la codification des âges sociaux, la sacralisation de la virginité féminine demeure encore très prégnante en Algérie, nonobstant un contexte de lentes transformations socioculturelles (urbanisation et crise du logement, exode rural, progression – relative – du niveau d’instruction des femmes, abaissement de l’âge moyen des filles au mariage, augmentation – timide elle aussi – du célibat féminin…). Elle persiste à constituer l’un des aspects de la socialisation de la sexualité et, plus spécifiquement, du contrôle religieux et surtout familial/social de la sexualité féminine : encore souvent confisquée dès la puberté, cette dernière est posée comme illicite ou transgressive lorsqu’elle s’exprime en dehors du cadre conjugal. Organisant les rapports de genre, le respect du tabou de la virginité représente l’un des éléments fondamentaux de la socialisation primaire, et cristallise nombre de fantasmes collectifs. Depuis plusieurs décennies, nombreuses sont les artistes algériennes et franco-algériennes d’expression française à briser le silence longtemps imposé sur ce tabou qui persiste dans la société patriarcale traditionnelle. Cette prise de parole leur vaut parfois d’être accusées dans leur pays d’origine (confronté qui plus est, pendant la décennie 1990, à la violence islamiste) de diffuser des stéréotypes occidentalo-centrés sur le statut – évidemment non homogène – des femmes dans les cultures islamiques, et d’activer l’islamophobie. Si des cinéastes se sont attachées à cette thématique, ce sont surtout des écrivaines d’expression française qui, à la suite des écrits pionniers de la militante féministe Fadela M’Rabet au milieu des années 1960, s’en sont emparées. Dans un contexte d’émergence de la création littéraire féminine donnant une part importante à l’expression (intrinsèquement subversive) du corps, des auteures comme Maïssa Bey, Hawa Djabali, Assia Djebar, Houria Kadra-Hadjadji, Leïla Marouane, Malika Mokeddem, Leïla Sebbar ou encore Khalida Toumi-Messaoudi ont notamment contribué à mettre en lumière les formes souvent violentes, matérielles ou symboliques, de la socialisation genrée traditionnelle et des dominations qui ont pesé ou pèsent encore sur la sexualité des femmes, notamment des plus jeunes, dans une société androcentrée. Dans leurs récits en langue française, souvent autofictionnels et, pour l’essentiel, publiés en France, elles évoquent la question de la virginité des adolescentes – et ses frontières mouvantes –, les représentations stéréotypées de la féminité et de la masculinité qui l’entourent, ainsi que les enjeux et implications qui la sous-tendent. Rappelant que l’exigence de virginité pèse sur chacun des deux sexes de manière éminemment différenciée, elles montrent que le tabou s’inscrit au cœur du système de valeurs dont le code de l’honneur [horma] constitue le point nodal, en particulier lors des transactions matrimoniales entre clans. Toutefois, malgré l’ancienneté et la permanence de la socialisation aux valeurs et pratiques traditionnelles, la sacralisation de la virginité semble de plus en plus souvent ressentie par les femmes non comme un choix dicté par une conviction personnelle, mais comme une contrainte sociale, et ce d’autant plus nettement qu’elles sont diplômées, actives et citadines. Émerge dès lors une revendication (encore timide) d’autonomisation pour les jeunes femmes. Des résistances et contournements des normes sexuelles dominantes se déploient, dont témoignent les écrivaines, qui font écho du développement clandestin (et illégal) d’une sexualité féminine prénuptiale, non sans risque cependant, car outre la pratique des répudiations, persiste en Algérie une tradition de « crimes d’honneur ». D’où le recours de plus en plus courant de certaines jeunes Algériennes à une opération pourtant profondément ambivalente : l’hyménoplastie. Si les écrivaines n’occultent en rien ces réalités douloureuses dans leurs œuvres fictionnelles ou autobiographiques, elles cherchent aussi manifestement à s’éloigner des stéréotypes misérabilistes, en valorisant des héroïnes qui s’insurgent radicalement – avec une fortune variable – contre l’ordre patriarcal. S’il ne s’agit nullement d’universaliser les expériences mises en récit, de manière plus ou moins romancée, par quelques femmes culturellement dotées, d’un niveau social souvent supérieur, il est en revanche heuristique de considérer ces « traces » littéraires comme un matériau – l’un des seuls disponibles sur ce thème – à objectiver sociologiquement. Ce sont tant ces tentatives (ambivalentes) de subversion et de transgression des assignations genrées traditionnelles que leurs mises réflexives en récit que nous proposons donc ici d’éclairer, en prenant essentiellement appui sur les œuvres des écrivaines algériennes et franco-algériennes précitées, ainsi que sur les entretiens sociologiques inédits (parfois anonymés à leur demande) que certaines nous ont accordés. Ces matériaux sont mis en perspective avec des travaux anthropologiques et les quelques rares données statistiques accessibles aux chercheurs qui permettent d’en éclairer les enjeux.
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hal-03680901 , version 1 (31-05-2022)

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Isabelle Charpentier. Les nouveaux habits du tabou de la virginité féminine en Algérie : œuvres et témoignages d'écrivaines algériennes et franco-algériennes d'expression française : Oeuvres et témoignages d'écrivaines algériennes et franco-algériennes d'expression française. Autrepart - Revue de sciences sociales au Sud, 2012, Les nouvelles figures de l'émancipation féminine, 2 (61), pp.59-79. ⟨10.3917/autr.061.0059⟩. ⟨hal-03680901⟩
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