Annie Ernaux ou l’art littérairement distinctif du paradoxe - Université de Picardie Jules Verne Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Revue des Sciences Humaines Année : 2010

Annie Ernaux or the distinctive literary art of paradox

Annie Ernaux ou l’art littérairement distinctif du paradoxe

Résumé

At the end of Une femme, a narrative published in 1988 recounting the life of her mother (translation : A Woman' Story, Seven Stories Press, 1991), Annie Ernaux states: "This is not a biography, nor a novel of course", but a work deliberately situated "below literature, [...] somewhere between literature, sociology and history". To qualify the self-reflexive texts she has published since 1974 in the Blanche collection at Gallimard, the writer refuses any pre-established generic classification and prefers to speak of "forms". The quest for a "right" form for her texts being at the very heart of her indissociably literary, social and political reflection, she has come to invent the labels of "transpersonal narratives" or "ethnotexts" to specifically evoke her two "extimate" diaries: Journal du dehors, published in 1993 (translation : Exteriors, Seven Stories Press, 1996), and its sequel, La Vie extérieure, published in 2000 (Things seen, University of Nebraska Press, 2010), both of which hijack the consecrated form of the diary. Deepening this distinctive literary approach, based on the art of reconciling opposites, Annie Ernaux proposes a new label in the form of an oxymoron, that of "collective" or "impersonal" autobiography, to qualify the specific narrative project of Les Années, published in 2008 (translation : The Years, Seven Stories Press, 2017), which many commentators present as her "life's work", her "masterpiece". Far away from the reception of her previous books, the near-unanimity of the critical praise - which, once again, no doubt disoriented by the form of the text, calls up in no particular order a number of illustrious, albeit not very coherent, filiations (from Beauvoir to Proust, via Maupassant and Pérec, not forgetting Genêt, Leiris, Nizan, Pavese, Chekhov and Woolf... ) - is combined with immediate public success (around 115,000 copies sold after six reprints). I have sought to understand the modalities and effects of Annie Ernaux's renewed positioning : through her formal research, she shifts the lines of traditional autobiography, handles the art of generic paradox, and plays increasingly with the boundaries between two traditionally "enemy genres", literature and sociology. Based on this double specular I of the writer, studying the inseparable literary, social and political stakes of her singular reflexive project, not devoid of ambivalences, it is also more broadly the outline of a sociology of the (literary) uses of sociological knowledge that I would like to sketch in this paper.
À la fin d’Une femme, récit publié en 1988 retraçant la vie de sa mère, Annie Ernaux affirme : « Ceci n’est pas une biographie, ni un roman naturellement », mais un travail situé délibérément « au-dessous de la littérature, [...] quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire. » Pour qualifier les textes autoréflexifs qu’elle publie depuis 1974 dans la collection Blanche chez Gallimard, l’écrivaine refuse tout classement générique pré-établi et préfère parler de « formes ». La quête d’une forme « juste » pour ses textes étant au cœur même de sa réflexion indissociablement littéraire, sociale et politique, elle en vient à inventer les labels de « récits transpersonnels » ou encore d’« ethnotextes » pour évoquer spécifiquement ses deux journaux « extimes » : Journal du dehors paru en 1993 et sa suite, La Vie extérieure, publié en 2000, qui détournent tous deux la forme consacrée du journal intime. Approfondissant cette démarche littéraire distinctive, fondée sur l’art de concilier les contraires, c’est un nouveau label en forme d’oxymoron, celui d’« autobiographie collective » ou « impersonnelle » qu’Annie Ernaux propose pour qualifier le projet narratif spécifique des Années, opus publié en 2008, que nombre de commentateurs présentent comme « l’œuvre de sa vie », son « chef-d’œuvre ». Rompant assez largement avec les réceptions des précédents récits, la quasi-unanimité de l’éloge critique – lequel, une nouvelle fois sans doute désarçonné par la forme du texte, convoque pêle-mêle d’illustres quoique peu cohérentes filiations (de Beauvoir à Proust, en passant par Maupassant et Pérec, sans oublier Genêt, Leiris, Nizan, Pavese, Tchekhov ou Woolf…) – se conjugue à l’immédiat succès public (environ 115 000 exemplaires vendus après six réimpressions). On a cherché ici à saisir les modalités et les effets du positionnement renouvelé d’Annie Ernaux, qui, déplaçant par ses recherches formelles les lignes de l’autobiographie traditionnelle, maniant de mieux en mieux l’art du paradoxe générique, se joue aussi de plus en plus des frontières entre deux genres traditionnellement ennemis, la littérature et la sociologie. Prenant appui sur ce double je(u) spéculaire de l’écrivaine, étudiant les enjeux indissociablement littéraires, sociaux et politiques de son projet réflexif singulier, non dénué d’ambivalences, c’est aussi plus largement l’esquisse d’une sociologie des usages (littéraires) de la connaissance sociologique que l’on souhaiterait dessiner.
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Dates et versions

hal-03680934 , version 1 (29-05-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03680934 , version 1

Citer

Isabelle Charpentier. Annie Ernaux ou l’art littérairement distinctif du paradoxe. Revue des Sciences Humaines, 2010, Le roman parle du monde – Lectures sociocritiques et sociologiques du roman contemporain, 299, pp.57-77. ⟨hal-03680934⟩
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