Contre ‘la conspiration du silence’, ‘écrire pour rester en vie’ - Université de Picardie Jules Verne Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2016

Against 'the conspiracy of silence', 'writing to stay alive'

Contre ‘la conspiration du silence’, ‘écrire pour rester en vie’

Résumé

The strategic use by Islamist groups of the rape of kidnapped women as a weapon of war, characteristic of the Algerian civil war during the "black decade" of the 1990s, constitutes a specific sexual and gendered violence. In the Algerian and French literary space, both from established authors and from a new generation of writers, this violent period of recent Algerian history has led to an important wave of writing, and has led Algerian authors to reactivate the social dimension of literature, giving it a therapeutic and memorial transmission role. Against individual and collective silence, the 'marriages of pleasure' were more specifically denounced, from the 1990s onwards, by French-speaking (Franco-)Algerian women writers, more or less (re)known in Algeria and/or France. Using specific narrative processes to reconstruct the drama, suffering and trauma linked to the massacres and the climate of terror, authors such as Maïssa Bey, Wahiba Khiari, Leïla Marouane, Badra Moutassem-Mimouni, Leïla Sebbar and Hafsa Zinaï Koulid have sought to put the unspeakable into words in essays, novels (sometimes autobiographical or autofictional) or short stories, often combining fiction and reality. Bringing these crimes back into the collective memory seemed all the more essential to them as they were rarely made public, remained silent and/or went unpunished in almost all cases, and were also largely concealed by the country's political authorities at the end of the civil war in 2001, in the name of the policy of 'national reconciliation' led by President Abdelaziz Bouteflika. Beyond that, these women writers question in their stories the social relations of gender and male domination in times of war as in times of peace, in a country that remains profoundly patriarchal, while questioning, in the texts themselves, the form, the function but also the costs (material and symbolic) of the commitment to the act of writing in such a context, as well as the consequences of these resistant practices in the continuation of the women's literary/publishing careers in the post-conflict period. These literary texts are vehicles for the construction and transmission of memories and for the reconstruction of the self for women authors who have sometimes been affected in their own flesh, and they constitute public statements that can be analysed as symbolic places for the perpetuation of memory and resistance to amnesia and (political) silence. Before addressing this specific gender violence, which occurred in a period of acute economic, social and political crisis, and the ways in which it has been dealt with in French literature written by (Franco-)Algerian women, published in France or in the Maghreb, this article first proposes to shed light on the context of the production of these stories, i.e. the emergence in the editorial space of writings that, in (French) literary theory, are artificially homogenised (and often aesthetically undermined) under the label of "emergency literature", and on the consequences of publication in this context of crisis on the subsequent literary/editorial career and aesthetic recognition of the women writers concerned. The article is based on an analysis of the literary works of these authors, but also on interviews with them, conducted between December 2006 and May 2012.
L’usage stratégique par des groupes islamistes du viol de femmes enlevées et séquestrées comme arme de guerre, caractéristique de la guerre civile algérienne pendant la « décennie noire » des années 1990, constitue une violence sexuelle et genrée spécifique. Dans l’espace littéraire algérien et français, tant de la part d’auteur(e)s consacré(e)s que d’une nouvelle génération d’écrivain(e)s, cette période violente de l’histoire algérienne récente a occasionné une importante vague d’écrits, et a amené les auteur(e)s algérien(ne)s à réactiver la dimension sociale de la littérature, en lui conférant un rôle thérapeutique et de transmission mémorielle. Contre le silence individuel et collectif, les « mariages de jouissance » ont été plus spécifiquement dénoncés, à partir des années 1990, par des écrivaines (franco-)algériennes d’expression française, plus ou moins (re)connues en Algérie et/ou en France. Restituant, par des procédés narratifs spécifiques, les drames, les souffrances et les traumatismes liés aux massacres et au climat de terreur, des auteures telles Maïssa Bey, Wahiba Khiari, Leïla Marouane, Badra Moutassem-Mimouni, Leïla Sebbar ou encore Hafsa Zinaï Koulid ont cherché à mettre en mots l’indicible dans des essais, des romans (parfois autobiographiques ou autofictionnels) ou des nouvelles, combinant souvent fiction et réalité. Ramener ces crimes à la mémoire collective leur paraissait d’autant plus essentiel que, rarement rendus publics, demeurés tus et/ou impunis dans la quasi totalité des cas, ils ont aussi été largement occultés par les autorités politiques du pays à la fin de la guerre civile en 2001, au nom de la politique dite de « réconciliation nationale » menée par le Président Abdelaziz Bouteflika. Au-delà, ces écrivaines questionnent dans leurs récits les rapports sociaux de sexe et la domination masculine en temps de guerre comme en temps de paix, dans un pays qui demeure profondément patriarcal, tout en interrogeant, dans les textes eux-mêmes, la forme, la fonction mais aussi les coûts (matériels et symboliques) de l’engagement dans l’acte même d’écrire dans un tel contexte, ainsi que les conséquences de ces pratiques résistantes dans la poursuite du déroulement de la carrière littéraire/éditoriale des auteures dans la période post-conflit. Vecteurs de construction et de transmission mémorielles et de reconstruction de soi pour des auteures parfois touchées dans leur propre chair, ces textes littéraires constituent autant de prises de parole publiques, et peuvent s’analyser comme des lieux symboliques de perpétuation de la mémoire, de résistance à l’amnésie et au silence (politique). Avant d’aborder cette violence de genre spécifique, survenant dans une période de crise économique, sociale et politique aiguë, et les manières dont elle a été traitée dans la littérature d’expression française écrite par des (Franco-)Algériennes, publiées en France ou au Maghreb, cet article propose préalablement un éclairage sur le contexte de production de ces récits, i.e. l’émergence dans l’espace éditorial d’écrits qu’il semble d’usage, en théorie littéraire (française), d’homogénéiser artificiellement (et, souvent, de minorer esthétiquement) sous le label de « littérature d’urgence », et une analyse des conséquences de la publication dans ce contexte de crise sur la suite de la carrière littéraire/éditoriale et la reconnaissance esthétique des écrivaines concernées. Cet article se fonde sur une analyse des oeuvres évoquées, mais aussi sur des entretiens avec des écrivaines, réalisés de décembre 2006 à mai 2012.
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Citer

Isabelle Charpentier. Contre ‘la conspiration du silence’, ‘écrire pour rester en vie’ : L’écriture d’auteures (franco-)algériennes d’expression française à l’épreuve des violences de genre pendant la ‘décennie noire’ en Algérie. Soron Antony. L’Écriture à l’épreuve d’elle-même, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA) – Bordeaux III, pp.17-46, 2016, 978-2-85892-454-7. ⟨hal-03687231⟩
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