‘Obsession’ de la virginité, honneur et socialisation des filles aux interdits sexuels dans la littérature (franco-)algérienne d’expression française écrite par des femmes depuis 1990 - Université de Picardie Jules Verne Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2016

'Obsession' with virginity, honour and the socialisation of girls to sexual prohibitions in French-speaking (Franco-)Algerian literature written by women since 1990

‘Obsession’ de la virginité, honneur et socialisation des filles aux interdits sexuels dans la littérature (franco-)algérienne d’expression française écrite par des femmes depuis 1990

Résumé

As part of the cultural constructions of sexuality, constructing a representation of purity and defilement, the imperative of preserving the virginity of girls before the marital alliance is found, in varying forms, in the three monotheistic religions. The need to preserve the integrity of an unmarried woman's hymen remains so strong in contemporary Algeria that the post-colonial legislator has imagined that sexual intercourse with a young virgin, even a consenting one, is more severely repressed than the sodomy of a child. The sacredness of female virginity, which crystallises multiple issues linked to gender relations, is still very prevalent today in societies where the Muslim religion is dominant. It is one of the aspects of the socialisation of sexuality and, more specifically, of the social control of female sexuality: still often confiscated from puberty, the latter is considered illicit or transgressive when it is expressed outside the marital framework. In this respect, intimacy appears to be eminently political, in that it 'embodies', in the etymological sense of the term, the socio-historically constructed relations between men and women, and is framed by hegemonic gendered norms, ensuring the reproduction of male domination. For the past twenty years, many Algerian and Franco-Algerian artists have been breaking the long imposed silence on this taboo that persists in traditional patriarchal society. Sometimes, this has led them to be accused in their country of origin (which, moreover, was confronted with Islamist violence during the "black decade" of the 1990s) of disseminating Western-centric stereotypes on the status - obviously not homogeneous - of women in Islamic cultures. Although women documentary filmmakers and women filmmakers have taken up this theme (Yamina Benguigui, Sabrina Draoui, Rachida Krim), it is mainly French-speaking women writers who, in Algeria, following the pioneering writings of the activist Fadéla M'Rabet in the 1960s, have taken it up. In the context of the emergence of women's literary creation, giving pride of place to the (intrinsically subversive) expression of the body, authors such as Najia Abeer, Aïcha Benaïssa, Nina Bouraoui, Assia Djebar, Houria Kadra-Hadjadji,, Aïssa Khelladi, Leïla Marouane, Malika Mokkedem and Leïla Sebbar have thus contributed to highlighting the often violent, material or symbolic forms of traditional gendered socialisation and the dominations that have weighed or still weigh on women's sexuality, especially the youngest, in an androcentric society. Over several generations (they were born between 1936 and 1967), these women, who are often highly educated and occupy high socio-professional positions (they are secondary school teachers, academics, journalists, artists, lawyers, doctors or members of parliament), have been discussing the issue of young girls' virginity - and its shifting boundaries - since the 1990s, the stereotypical representations of the feminine and the masculine that surround it, the issues and implications that underlie it, in narratives that are often autofictional and written in French - and, for a large part of them, published in France, which facilitates the lifting of self-censorship, authorises more frequent recourse to the autobiographical 'I', but then almost de facto prohibits reading in Algeria. The aim here is not to universalise the experiences of a few culturally and economically endowed women of a higher social level who have sufficient resources to devote a variable proportion of their time to writing and publishing their books, but rather to consider these literary 'traces' as material - one of the only ones currently available on this subject - to be sociologically objectified. In the face of this 'ordinary' violence against women, what are the strategies of written expression, and therefore of subversion and transgression of traditional gendered assignments, that these women authors - and their characters - implement (sometimes ambivalently) by expressing themselves publicly on this intimate theme? This article analyses both these practices of resistance and their reflexive narratives, drawing mainly on the literary works of the Algerian and Franco-Algerian women writers mentioned above, as well as on the unpublished sociological interviews that some of them have given me.
Participant des constructions culturelles de la sexualité, construisant une représentation de la pureté et de la souillure, l’impératif de préservation de la virginité des filles avant l’alliance conjugale se retrouve, sous des modalités variables, dans les trois religions monothéistes. La nécessité de préserver l’intégrité de l’hymen d’une femme non mariée reste si forte dans l’Algérie contemporaine que le législateur postcolonial a imaginé de réprimer plus lourdement le rapport sexuel avec une jeune femme vierge, même consentante, que la sodomie d’un enfant. Cristallisant de multiples enjeux liés aux rapports sociaux de sexe, la sacralisation de la virginité féminine est aujourd’hui encore très prégnante dans les sociétés où la religion musulmane est dominante. Elle constitue l’un des aspects de la socialisation de la sexualité et, plus spécifiquement, du contrôle social de la sexualité féminine : encore souvent confisquée dès la puberté, cette dernière est posée comme illicite ou transgressive lorsqu’elle s’exprime en dehors du cadre conjugal. En cette matière, l’intime apparaît éminemment politique, en ce qu’il « incarne », au sens étymologique du terme, les relations socio-historiquement construites entre hommes et femmes, et qu’il est encadré par des normes genrées hégémoniques, assurant la reproduction de la domination masculine. Depuis une vingtaine d’années, nombreuses sont les artistes algériennes et franco-algériennes à briser le silence longtemps imposé sur ce tabou qui persiste dans la société patriarcale traditionnelle. Cette prise de parole leur vaut parfois d’être accusées dans leur pays d’origine (confronté qui plus est, pendant la décennie 1990, à la violence islamiste) de diffuser des stéréotypes occidentalo-centrés sur le statut – évidemment non homogène – des femmes dans les cultures islamiques. Si des documentaristes et des cinéastes se sont attachées à cette thématique (Yamina Benguigui, Sabrina Draoui, Rachida Krim), ce sont surtout des écrivaines francophones qui, en Algérie, à la suite des écrits pionniers de la militante Fadéla M’Rabet dans les années 1960, s’en sont emparées. Dans un contexte d’émergence de la création littéraire féminine donnant la part belle à l’expression (intrinsèquement subversive) du corps, des auteures comme Najia Abeer, Aïcha Benaïssa, Nina Bouraoui, Assia Djebar, Houria Kadra-Hadjadji, Aïssa Khelladi, Leïla Marouane, Malika Mokkedem ou encore Leïla Sebbar ont ainsi contribué à mettre en lumière les formes souvent violentes, matérielles ou symboliques, de la socialisation genrée traditionnelle et des dominations qui ont pesé ou pèsent encore sur la sexualité des femmes, notamment des plus jeunes, dans une société androcentrée. Sur plusieurs générations (elles sont nées entre 1936 et 1967), ces femmes, souvent très diplômées, occupant des positions socio-professionnelles élevées (elles sont professeurs du secondaire, universitaires, journalistes, artistes, avocates, médecins ou encore parlementaires), évoquent depuis les années 1990 la question de la virginité des jeunes filles - et ses frontières mouvantes -, les représentations stéréotypées du féminin et du masculin qui l’entourent, les enjeux et implications qui la sous-tendent, dans des récits souvent autofictionnels rédigés en français – et, pour une grande partie d’entre eux, publiés en France, ce qui facilite la levée des auto-censures, autorise un recours plus fréquent au « je » autobiographique, mais interdit alors presque de facto la lecture en Algérie. Il ne s’agira nullement ici d’universaliser les expériences mises en récit, de manière plus ou moins romancée, par quelques femmes culturellement et économiquement dotées, d’un niveau social supérieur, qui disposent des ressources suffisantes pour consacrer une part variable de leur temps à l’écriture et à la publication de leurs livres, mais plutôt de considérer ces « traces » littéraires comme un matériau – l’un des seuls disponibles actuellement sur ce thème – à objectiver sociologiquement. Face à cette violence « ordinaire » faite aux femmes, quelles sont les stratégies de prise de parole écrite, et donc de subversion et de transgression des assignations genrées traditionnelles, que ces auteures – et leurs personnages – mettent en œuvre (parfois dans l’ambivalence) en s’exprimant publiquement sur ce thème relevant de l’intime ? Ce sont tant ces pratiques de résistance que leurs mises réflexives en récit que cet article analyse, en prenant essentiellement appui sur les œuvres des écrivaines algériennes et franco-algériennes précitées, ainsi que sur les entretiens sociologiques inédits que certaines nous ont accordés.
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Citer

Isabelle Charpentier. ‘Obsession’ de la virginité, honneur et socialisation des filles aux interdits sexuels dans la littérature (franco-)algérienne d’expression française écrite par des femmes depuis 1990. Bienbeck Ricarda; El-Naggare Maroua; Fendler Ute; Gilzmer Mechtild. Transformations. Changements et renouveaux dans la littérature et le cinéma au Maghreb depuis 1990, AVM Edition (Akademische Verlagsgemeinschaft München), pp.165-188, 2016, 978-3-95477-045-8. ⟨hal-03687384⟩
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